Dans une interview accordée au micro de la Deutsche Welle (DW) le 7 août dernier, le chercheur Malte Lierl, de l’Institut Clingendael aux Pays-Bas, est revenu sur la politique de Vladimir Poutine et de la Russie en Afrique à l’approche de l’anniversaire des 25 ans au pouvoir du Président russe.
Parmi les points marquants de son bilan politique, il y a ce rapprochement avec plusieurs Etats africains ces dernières années. Malte Lierl revient sur la stratégie du Kremlin en Afrique, ses intérêts, mais aussi la popularité de Vladimir Poutine auprès d’une frange de la population du continent.
DW : Vladimir Poutine est au pouvoir depuis 25 ans maintenant. Et ces dernières années, on assiste à un regain d’intérêt du Kremlin pour l’Afrique. Comment est-ce que cet intérêt ravivé s’explique ?
La Russie a toujours été présente en Afrique, tant dans le secteur des matières premières que dans la diplomatie, par exemple pour tenter d’obtenir des voix africaines aux Nations unies. Mais depuis que le conflit avec l’Occident s’est intensifié, c’est-à-dire depuis le début de la guerre en Ukraine en 2014 [l’annexion de la Crimée, ndlr] et encore plus depuis 2022,
l’Afrique est devenue encore plus importante pour la Russie.
En Afrique, la Russie peut affaiblir l’Occident en matière de politique étrangère, elle peut aussi contourner les sanctions, par exemple en important de l’or de la République centrafricaine ou en effectuant des opérations de change. Mais c’est aussi devenu un champ d’action pour la Russie depuis que la Russie est plus isolée dans d’autres régions du monde. […]
DW : Quels sont les intérêts économiques du Kremlin en Afrique ?
Prenons l’exemple de l’or en République centrafricaine. Là-bas, la Russie a la possibilité d’encaisser plusieurs milliards d’euros grâce à des contrats miniers – en dehors des régimes de sanctions occidentaux. Au Mali, des entreprises occidentales sont toujours actives, mais le gouvernement paie des mercenaires que la Russie met à disposition. Ainsi, la Russie peut également y profiter indirectement de l’exploitation des ressources.
DW : Est-ce qu’on peut affirmer que la Russie se réimplante plus fortement en Afrique dans des pays particulièrement vulnérables ?
On peut dire que la Russie offre un paquet aux militaires au pouvoir ou aux gouvernements non-démocratiques, qui consiste en des mercenaires, des campagnes de désinformation, des conseils politiques, la répression de la contestation et des médias indépendants. Cette offre est très attrayante pour les dictateurs, mais elle a en fait peu à offrir à la société civile. Elle rend les dirigeants des pays touchés par la vague de coups d’Etat militaires d’autant plus dépendants de la Russie que les gouvernements militaires ne parviennent pas à protéger seul leur population civile.
DW : Vous avez dit que ce que propose la Russie aux dirigeants africains présente peu d’avantages pour les populations. Pourtant, on a l’impression que Vladimir Poutine conserve une image très positive auprès de nombreux Africains. Comment l’expliquer ?
Les faits sont là : la Russie offre très peu d’aide au développement aux civils africains, en fait une aide infime. Elle a également peu contribué à l’amélioration de la situation sécuritaire et beaucoup contribué, en revanche, à sa détérioration. Des attaques contre des civils, voire des massacres, sont documentés dans la région qui ont été perpétrés par des mercenaires russes.
La répression de toute contestation et des médias indépendants est également directement liée aux conseils politiques dispensés par la Russie, et en République centrafricaine, les conseillers militaires russes ont travaillé jusqu’aux plus hauts niveaux de la planification militaire.
Dans cette mesure, ce qui résulte au final de l’engagement russe pour la population civile ne doit pas être considéré comme très positif.
Dans le même temps, la Russie a créé un potentiel de protestation dans les capitales des pays du Sahel et d’autres pays africains à travers l’ensemble du spectre politique, des organisations islamistes jusqu’aux groupes antimondialisation. Ainsi, elle montre une présence assez importante dans les rues. Cela influence l’opinion publique, tout comme les campagnes de désinformation menées depuis la Russie.
(…) Mais le fait est que les médias indépendants sont désormais réprimés dans ces pays et que ce que l’on voit à la surface n’est pas forcément représentatif de la manière dont la société dans son ensemble perçoit la Russie, notamment les parties de la société qui sont touchées par les attaques des forces de sécurité ou des mercenaires russes.
DW : Vous qui connaissez bien le Sahel, comment voyez-vous la région dans un avenir proche ? Est-ce que les pays de l’AES (le Burkina Faso, le Mali, le Niger) vont désormais miser seulement sur la Russie, la Chine – et peut-être la Turquie et l’Iran – et totalement abandonner la coopération avec l’Occident ? Ou est-ce que différents partenariats sont possibles ?
Je ne pense pas qu’à l’heure actuelle, la porte soit fermée à un engagement européen au Sahel.
Le risque est que les autorités militaires deviennent de plus en plus dépendantes de la Russie. (…) Elles auront alors de moins en moins la possibilité de coopérer en même temps avec l’Europe ou les États-Unis, car la Russie peut essayer de les en empêcher activement.
Mais nous n’en sommes pas encore là. Je pense qu’il existe encore toute une série d’intérêts communs et de possibilités de coopération entre l’Europe et ces pays, qui peuvent encore être explorés et qui pourraient peut-être se transformer en coopération concrète grâce à un dialogue politique discret.